Trois mois d’angoisse se profilent à l’horizon !

Malgré le passage dévastateur de Matthew sur Haïti et Cuba l’année écoulée, le bassin atlantique a plutôt été assez «gentil» durant les 5 à 6 dernières années. En effet, Il n’y a pas eu de saison marquée par la formation et l’atterrissage de plusieurs ouragans majeurs, comme ce fut le cas de 2003 à 2005 par exemple; en fait, Matthew a été le premier ouragan de catégorie cinq sur notre bassin depuis Félix en 2007 ! Si, sur l’ensemble du Globe on observe une baisse de l’activité cyclonique (n’en déplaise à Gore et consorts) depuis une bonne dizaine d’années, il y a néanmoins de nombreux indices qui semblent indiquer un retour à une période active sur le bassin atlantique en 2017. Ce retour à une période plus active pourrait se prolonger durant les deux ou trois prochaines années. Comment se présente la situation à environ 3 semaines de l’ouverture de la «vraie saison cyclonique» ? Qu’elles sont les risques potentiels pour notre pays ? L’atterrissage de Matthew en 2016 contribuera-t-il à nous protéger d’une nouvelle frappe dévastatrice ?

                                                       Saison 2003 -2005

Les facteurs régulant l’activité cyclonique sur l’atlantique

Les saisons actives sur notre région sont caractérisées par des températures océaniques (SSTs) élevées, mais surtout par la présence d’un tripole atlantique positif ( la zone de développement principale ou MDR doit être anormalement chaude avec des températures océaniques plus fraîches au nord ). L’absence d’El Niño est préférable, mais pas nécessairement obligatoire dépendant du type d’Enso; en 2004 par exemple, la saison fut extrêmement active avec la présence d’El Niño, mais ce phénomène était du type Modoki (avec les plus chaudes températures sur le centre du pacifique). D’autres facteurs peuvent également  favoriser des saisons actives comme :

Un Sahel plus humide que la normale, ce qui permet de diminuer la quantité de poussière et d’air sec venant du Sahara, la position et l’intensité du TUTT, la direction du QBO,  les températures océaniques sur le Nord-est et l’Est du pacifique, etc. sont autant de facteurs qui peuvent influencer le degré d’activé sur un bassin somme toute assez marginal.

La MDR en 2004/2005 ou les SSTs avaient atteint .67 C au-dessus de la moyenne

Situation actuelle

Au 27 juillet 2017, les distributions de températures sur notre océan correspond de plus en plus à ce fameux tripole positif qui favorise la convergence de l’air sur la MDR et focalise donc la chaleur au-dessus de cette région; de plus, les températures océaniques ont été (et restent encore) très au-dessus de la normales et sont même les plus élevées sur la région pour un mois de juillet depuis 2010 !

Au cours du mois de la première quinzaine de juillet les SSTs sur la MDR étaient de .7 C au-dessus de la normale

L’énergie disponible pour le développement, l’intensification et le maintien des ouragans n’a cessé de croître depuis le mois de mai.

Les températures de 26.5 degrés ou plus nécessaires à la cyclogenèse descendent jusqu’à plus de 100 mètres de profondeur sur la mer des Antilles.

Le spectre du phénomène El Niño, qui provoque généralement un fort cisaillement de vent d’Ouest et de la subsidence sur l’atlantique Ouest et les caraïbes s’éloigne de plus en plus. En effet, malgré un index MEI correspondante a un Niño moyen à fort en juin et juillet l’absence des critères du genre : un ralentissement des alizés sur le pacifique, de nébulosité sur le pacifique centrale, etc. ne permettent pas de faire du réchauffement observé à l’Ouest de la ligne internationale de la date un nouveau El Niño.

Le pacifique le 1er mai

La mauvaise nouvelle pour notre région est que depuis une bonne dizaine de jours, nous assistons à une forte poussée des alizés sur l’est et le centre du pacifique où les températures ne cessent de plonger.

Les alizés se sont renforcés sur le pacifique central (rectangle)

les SSTs chutent sur le centre du pacifique

En clair, la différence de pression entre les deux océans (chaud sur l’atlantique plus frais ou neutre sur le pacifique) ne devrait pas générer des alizés anormalement rapides sur l’atlantique et les caraïbes qui entraîne généralement des remontées d’eau froide et des conditions assez hostiles aux perturbations tropicales; sous de telles conditions, les Antilles sont généralement protégées.

La saison a plutôt débuté rapidement avec la formation de quatre systèmes tropicaux, dont trois à l’Est des Antilles ce qui indique généralement une saison active. En effet,  sur les onze saisons présentant cette caractéristique, dix ont été assez actives avec un ACE moyen de 163 (moyenne pour une saison 102).

Les années ou au moins deux systèmes se sont formés avant le 1er août ont été actives excepté 2013

Le cisaillement a été plutôt en dessous de la moyenne depuis le début de la saison (teintes bleues sur l’image) et les modèles continuent de montrer des conditions d’altitude favorable aux ouragans.

Cisaillement prévu par les modèles devrait être proche ou en dessous de la normale pour août/sept/oct

Le Sahel est beaucoup plus humide que la moyenne suite aux fortes précipitations de mai et de juin, ce qui contribue à une réduction de la concentration des poussières entraîné par les alizés et le volume d’air sec sur l’atlantique orientale.

J’observe depuis deux mois la position TUTT (une zone de basse pression qui occupe une position proche des Bahamas généralement en cette période de l’année), il est beaucoup plus faible et tend à se déplacer vers l’Ouest. Les systèmes tropicaux devraient éprouver moins de cisaillement provenant du flanc Est de ce système, alors que son déplacement vers l’Ouest permettra de ventiler ces derniers.

Position et intensité moyenne du TUTT

Position et intensité actuelle du TUTT

L’humidité entre 4 et 6000 mètres est généralement assez élevé lors des saisons actives, et j’ai constaté une augmentation  de ce paramètre au cours des dernières semaines sur l’Est et l’Ouest du bassin atlantique.

Le compte à rebours à commencer

Le  couvercle du chaudron atlantique est en place, mais pour combien de temps encore ? L’anticyclone des Açores / Bermudes est aux commandes et crée des conditions hostiles sur la MDR; toutefois, le passage au début du mois d’août d’une forte onde équatoriale (onde de Kelvin), en grande partie responsable de la forte activité cyclonique sur le pacifique, devrait marquer le début de ce qui pourrait se révéler être une saison excessivement dangereuse pour les caraïbes, l’Amérique centrale et les côtes des USA.

En effet, cette CCKW et la phase positive de Madden Julian ( MJO) pourraient créer des conditions favorables à la formation de 2 à 5 perturbations d’ici à la fin du mois d’août.

Quels seront les risques pour Haïti ?

L’activité cyclonique est intimement liée au cycle de l’Oscillation Décennale de  l’Atlantique ( AMO ), cycle dans lequel se trouve présentement cet océan. En effet, durant la phase négative ou froide, l’activité cyclonique est beaucoup plus réduite sur le basin atlantique alors que durant les phases actives ou chaudes de cette oscillation l’activité cyclonique est beaucoup plus élevée avec donc un risque accru pour notre pays. Toutefois, c’est particulièrement durant la fin de cette phase active que la majorité des frappes se produisent sur Haïti. Comparez l’activité cyclonique sur notre pays au cours des différentes phases de l’AMO ?

Notez que la fréquence des ouragans sur notre pays était beaucoup plus élevée sur la deuxième partie des périodes de la phase active de  l’AMO avec par exemple  plus de 10 frappes entre 1875 et 1899 sur un total de 17 frappes directes pour la période AMO + (1851 – 1899)

Phase positive de l’AMO (1925-1969) avec 7 impacts sur les quatorze dernières années (1955 – 1969) sur un total de 9 entre (1925 – 1965)

La corrélation semble assez forte n’est-ce pas ?

Vous comprenez que le risque est beaucoup plus important lors de la deuxième partie de phase active où nous nous trouvons présentement. Ce qui est inquiétant est le relatif faible nombre d’impacts directs au cours de la première partie du cycle AMO+ en cours (4), le plus faible quota des trois dernières phases active ou le minimum était de 6 et un seul cyclone majeur s’il vous plait . En claire, si mère nature veut combler le déficit elle pourrait accroître les frappes avant la fin du cycle qui devrait s’achever entre 2020 et 2030.

Le cycle solaire

Il y aussi l’activité solaire, durant le dernier siècle, les périodes de grandes activités cycloniques en Haïti (50-57,58-66,04-08) ont coïncidé avec une baisse de l’activité solaire comme celle que nous sommes en train d’observer depuis 2013-2014.

Difficile d’établir un rapport de cause à effet,  mais il semblerait bien exister une corrélation entre les périodes de fortes activités cycloniques sur le pays et les périodes où le soleil rentre en léthargie. Si vous voulez en savoir plus liser ceci.

L’effet Matthew

Avant le passage de Matthew, le dernier impact direct d’un ouragan majeur sur Haïti remontait à 1964. Ce que beaucoup ignore ou oublie, c’est que juste avant le passage de Cleo, Flora touchait Haïti de plein fouet en 1963 ( le 3 octobre  comme Matthew ) ; une précision pour ceux qui croient que les frappes majeures nous protégeraient les années suivant l’atterrissage d’ouragan de forte intensité sur Haïti;  je pourrais même dire d’une certaines façons qu’elles peuvent parfois marquer le début d’une période dangereuse pour notre pays. Voyons cela en détail. Entre 1851 et 2016, notre pays a été affecté directement ou indirectement par 13 ouragans majeurs ; que s’est-il passé les années suivant ces atterrissages ?

Quatre ouragans majeurs ont affecté Haïti entre 1873 et 1944; celui de 1873 a été suivi du passage d’un ouragan de catégorie 2 sur la Jamaïque avec une trajectoire à la Sendie qui a probablement provoqué un déluge sur le Sud et la Grande-Anse, un autre cyclone traversa le canal de la Jamaïque du Sud vers le Nord en 1884 l’année suivant l’ouragan majeur de 1883. La République d’Haïti a été touché par plusieurs perturbations les deux années ( 1931, 1932) suivant le passage du terrible ouragan de San Zenon (1930). En 1945, une dépression se dissipa sur les régions frontalières du Centre une année après le passage près des côtes sud d’un intense cyclone de catégorie 3. Les stats des dernières décennies sont encore plus inquiétantes puisque depuis 1954, exceptée 1903, toutes les années suivant le passage d’un ouragan majeur sur ou près de nos côtes ont été marqué par le passage de perturbations cycloniques et souvent de forte intensité :

Hazel 1954  Katie 1955

Flora 1963  Cleo 1964

Inez 1966 Beulah 1967

David 1979 Allen1980

Emily 1987 Gilbert1988

Matthew 2016 ……..? 2017

Vous noterez que quatre de ces atterrissages de majeurs faisaient suite aux passages d’autres ouragans de catégorie 3 ou plus ( Cleo 1964 suivit Flora en 1963, Beulah 1967 suivit  Inez en 1966, Allen 1979 suivit David 1979, Gilbert 1988 suivit Emily 1987). Être ” visiter ” par des cyclones tropicaux 8 années sur les 9  suivant le passage d’un majeur près ou sur notre pays ne me semble pas très rassurant après la visite de M. Matthew ( un majeur ) , surtout  si on se réfère à la climatologie (nous sommes touché en moyenne tous les 8 à 12 ans).

Et si …

Dans l’état actuel où se trouve notre pays, particulièrement les régions affectées par Matthew n’importe quelle perturbation passant à moins de 100 km des côtes pourrait entraîner des dégâts considérables; n’imaginons même pas l’atterrissage d’une perturbation majeure. Le stress sera perpétuel et pourrait prendre la forme de panique, si d’aventure un ouragan pénétrait sur la mer des Antilles. A-t-on suffisamment appris de Matthew ? Comment procédera-t-on si c’est l’Ouest ou le Sud-est qui sont menacés, évacuera-t-on les régions du littoral (Cité soleil, Lumière, etc.)? La région de Canaan ? Les populations près de la rivière grise ? Les quartiers qui ont été inondés lors du passage de Georges en 1998 ? Comment protéger la ville de Léogane d’une catastrophe ? Les travaux effectués aux Gonaïves suffiront-ils à protéger la ville d’un nouveau désastre ? Les riverains du fleuve Artibonite seront-ils déplacés ? Matthew se déplaçait à pas de tortue et nous a laissé suffisamment de temps pour nous préparer et vous avez vu le fiasco; imaginez un instant une tempête tropicale pénétrer sur la mer des Antilles un dimanche tard dans l’après-midi, qui s’intensifierait rapidement, se transformerait en ouragan majeur en 18 heures ou moins (cela s’est déjà produit) et qui atterrirait sur nos côtes lundi soir, ce serait la panique totale et la débandade assurée. Avec le refroidissement du pacifique central, la saison cyclonique risque d’être longue, très longue, mais surtout stressante pour nos populations qui doivent se préparer au pire, tout en espérant être épargné d’une autre calamité.

 

 

Rudolph Homère Victor

Météorologue

AMS

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