L’année 2016 sera-t-elle marquée par un retour de phénomènes météorologiques extrêmes sur Haïti ?

Notre pays a connu au cours des deux dernières années, un déficit pluviométrique assez marqué, particulièrement à la fin du printemps et durant l’été. Ces anomalies pluviométriques ont été aussi accompagnées d’un décalage de la saison pluvieuse de plusieurs semaines, ce qui n’a certainement pas fait l’affaire de nos agriculteurs. Durant cette période, nous avons aussi noté une quasi-absence de cyclone sur la mer des Antilles (Sandy 2012 fut le dernier), même si une ou deux perturbations tropicales mineures ont flirté avec nos côtes. Le phénomène El Niňo présent depuis le printemps 2014 sur le pacifique en ce moment, a et continue certainement à influencer les conditions à l’échelle régionale, mais est-il le seul en cause ? D’autres facteurs n’ont-ils pas contribué à influencer les conditions météorologiques locales. Comment se présente la situation pour les prochains mois ? Assisterons-nous au retour des pluies en 2016 sur l’ensemble du territoire ou une persistance de la sécheresse? Aura-t-on droit de nouveau à une paisible saison cyclonique ? Autant de questions auxquelles nous essaierons de répondre en tenant compte des paramètres passés, présents que nous confronterons aux prévisions des modèles les plus crédibles comme le ECMWF, LE CVFSV2 , etc.

La sécheresse a été rude sur certaines parties du pays, comme le Sud qui après les 4 premiers semestres de l’année en cours, affichait par endroit un déficit de plus de 300 mm, l’Ouest et le Sud-est n’étaient pas en reste avec des anomalies de -200 ou plus. Le Plateau central est la seule région à avoir connu une pluviométrie quasi normale durant ladite période. Que s’est-il donc passé ?

                          Assez sec sur le sud-ouest du pays en 2015

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Durant les hivers 2013-2014, 2014-2015, la présence d’un anticyclone d’une robustesse peu commune (courtoisie d’El Niňo et des températures sur notre océan) sur l’Atlantique Ouest à bloquer la progression des systèmes polaires (front froid, creux en altitude, etc.) vers les caraïbes centrales. Ainsi, les façades septentrionales des pays de notre région, qui bénéficient généralement des pluies en cette période de l’année, ont connu un important déficit pluviométrique. Vers la fin février et le début du mois de mars, il s’est affaibli, permettant aux fronts et à d’autres perturbations polaires de transiter sur Cuba, Haïti, etc. à un moment ou généralement l’atlantique est dominé par une puissante cellule anticyclonique. Cette nouvelle anomalie liée probablement aux effets d’El Niňo (encore) à déclencher l’arrivée des pluies sur l’Ouest, le bas du Plateau central et une partie de l’Artibonite au moment où le reste des régions centrales et le Sud du pays restaient désespérément secs, pourquoi?

Les couleurs vivent indiquent des anomalies positives de pression sur l’atlantique

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Primo : parce que ces perturbations polaires étaient de faible intensité, ensuite le refroidissement marqué des eaux de la Caraïbe a limité l’instabilité près des côtes Sud, alors que les alizés anormalement puissants induisaient un assèchement de l’air sur la mer des Antilles (divergence près de la surface). Contrairement à l’année écoulée où la sécheresse estivale était surtout la résultante des températures anormalement basses sur l’atlantique (et non le phénomène El Niño) qui ont induit des pressions élevées avec à l’arrivée un environnement défavorable aux ondes tropicales porteuses de pluies, l’année 2015 a été plutôt une combinaison de plusieurs facteurs. D’abord, un des plus intenses El Niňo des 50 dernières années et la baisse continuelle des températures océaniques qui au mois de juin ont été les plus basses jamais enregistrées depuis 1950 sur notre océan. Cette combinaison a sérieusement réduit l’instabilité, asséchée notre région, et donc provoquée une des pires sècheresses sur la région. Ainsi, l’environnement qui a prévalu lors de la saison cyclonique sur la mer des Antilles et l’Ouest de l’atlantique nous a gratifiés d’une saison plutôt calme malgré le passage de la tempête Erika sur notre pays. L’arrivée de précipitations sur le territoire national à la fin de septembre et au début du mois d’octobre confirme notre thèse, puisqu’elles se sont produites au moment où un réchauffement de la mer des Caraïbes et de l’atlantique était observé. Un accroissement des SSTs (Températures océaniques) qui a permis à quelques ondes d’arroser la région et aussi, chose anormale lors des intenses El Niňo, a plusieurs tempêtes de prendre naissance sur l’atlantique tropicale au moment où la saison cyclonique touchait à sa fin.

La pression anormalement élevée sur l’atlantique tropicale a inhibé l’activité cyclonique et asséchée notre région (les teintes jaunes et vertes)

pression
Un hiver mouillé
Alors que nous entamons la saison sèche, un ensemble de facteurs semblerait indiquer que l’année à venir pourrait nous réserver un tout autre scénario. Des prévisions météorologiques ne sont jamais faciles à établir, surtout lorsqu’il s’agit de dégager une tendance sur le long terme, toutefois il y a certaines méthodes qui sans être infaillibles nous permettent généralement de prévoir avec un certain degré d’exactitude la situation à venir. D’abord, nous avons cherché à déterminer les années avec des situations similaires ou proches (répartition des températures océaniques. El Niňo, etc. au cours de 130 dernières années), comparer ces situations avec l’actuelle en vue de déterminer les différences et les points communs. Puis, analyser ce que les modèles les plus crédibles prévoient pour le mois à venir (Enso, SST, températures globales,) et comparer leurs émissions à ce qui s’était passé l’année suivant les années dites similaires, puis ainsi déterminer le degré de fiabilité de ces prévisions en fonction du présent, du passé et de notre expérience. Ensuite, nous avons choisi ce qui nous semblait le mieux correspondre à ce qui pouvait éventuellement se passer en 2016. Parmi ces années, deux sortes du lot : 1957 et 1965 (nos années analogues). Deux années qui ont été marquées par des épisodes de Niňo modérés à forts.

Les températures sur le pacifique de janvier à octobre 2015, comparez aux années 57 et 65       

2015

                                    El Niňo domine le pacifique 1957

1957                                                 1965 un El Niňo puissant

1965
Au final, la configuration la plus probable serait une situation anormalement humide sur les régions septentrionales, la Grande-Anse et les Nippes, dès le début du mois de janvier, avec l’intrusion de perturbations polaires de plus en plus fortes sur les Caraïbes. Le réchauffement probable des eaux de l’atlantique au cours de cette période, contribuant à augmenter l’instabilité près de ces régions, et le risque d’événement météorologique extrême (période de pluie prolongée avec son cortège de catastrophes d’inondation généralisée, glissement de terrain, etc). Une incertitude demeure toutefois, quant à l’arrivée de la saison pluvieuse sur le reste du pays, même si les résultats de nos recherches sembleraient indiquer une saison pluvieuse précoce et longue avec encore des risques environnementaux surtout pour l’Ouest et l’Artibonite. Ces conditions météorologiques (liées à la variabilité naturelle du climat) seraient probablement dues à une incursion très au Sud du subtropical jet entrainant avec lui les perturbations polaires vers le Sud.

Trajectoire des perturbations en période des épisodes modérés et intenses d’El Niňo.

ninoPas besoin de rappeler que la plupart des graves inondations dans le Nord se sont produites lors de l’année suivant les El Niňo modéré ou intense.

            La pluviométrie en 1958 au-dessus de la moyenne de mars à mai

1958

       Idem en 1966 mais avec une pluviométrie très au-dessus de la normale.

rain 1966                                                Prévisions du CFSv2

En vert, des anomalies positives de pluviométrie pour mars, avril et mai 2016

mai                         Humide aussi pour le modèle japonais (JMA)

Les couleurs vertes sur les caraïbes

mars jma Le modèle européen (ECMWF) très humide avec plus de 60 % de probabilité de précipitation au-dessus de la normale pour février-avril

ecmw
Un Retour des ouragans de forte intensité sur l’atlantique est à craindre

Ma grosse inquiétude concerne surtout la saison cyclonique 2016. En effet, les douze à 24 mois suivants la fin des Enso chaud modérés à intenses, ont été presque toujours caractérisé par des atterrissages de cyclones d’intensité modérée à fortes (CAT 2 ou +) sur Haïti. Après les épisodes modérés par exemple : 63-64 fut suivi de Flora, 86-87 Emily, 2009-2010 par Thomas, pour les épisodes les plus intenses 57-58 par Ella, 65-66 Inez, 97-98 Georges. Plus de 24 mois après la dissipation d’El Niňo, le danger demeure : après 91-92 Gordon en 1994, Jeanne deux après 2002-2003, Eloïse après 72-73. Il n’y a que les épisodes de 1988 et de 82-83 à avoir été une exception (bien sûr depuis qu’existe ces données). Nos recherches sur les années ont donné 1957 et 1965 des années qui ont été humides et suivis du passage d’Ella (forte catégorie 2) et d’Inez (forte catégorielle 4) sur notre pays l’année suivante. Que nous disent les modèles comme l’Européen, le CFSv2, le japonais ? Leurs émissions semblent être logiques au vu de la situation actuelle et des années suivantes les Enso modérées à fort, puisqu’elles montrent des anomalies pluvieuses sur notre pays en particulier et surtout la dégénérescence rapide d’El Niňo avec un retour possible de la Niňa fin 2016.

El Niňo devrait rapidement disparaitre vers la fin du printemps 2016 (ECMWF PLUME)

ensoPC/IRI Early-Month Consensus ENSO Forecast Probabilities

IRILa plupart de ces modèles sembleraient donc conforter  notre hypothèse quant à un retour des pluies sur la région et à une saison cyclonique probable active sur l’atlantique en raison d’une répartition des SSTs favorisant l’évolution d’ouragan du type Cap vert, les plus dangereux pour notre pays.

Les Niňos et leur intensité au cours des 60 dernières années.

nino Le JMA anomalies des températures océanique juin/jullet/aout 2016

jma Le CFSv2 va dans le même sens (mai, juin, jullet 2016)

cfsv2
Je vous épargnerai les détails techniques, à savoir la configuration actuelle des SSTs sur l’atlantique, l’influence du ” Blob ” près de la côte occidentale des USA, ou encore des différentes oscillations affectant l’atlantique et le pacifique (AMO, PDO) qui, à des échelles annuelles ou multi décennales, influencent aussi les saisons cycloniques et pluvieuses sur notre pays, l’influence de l’activité solaire autant de facteurs que nous avons pris en compte pour l’élaboration de ces prévisions qui, si elles laissent préfigurer d’une saison agricole un peu plus verte, mais permettent aussi d’envisager des scénarios catastrophiques pour les prochains trois à 9 mois.

Naturellement les dirigeants ont d’autres priorités

Bien sûr, tout ceci reste des prévisions qui peuvent tout aussi ne pas se vérifier toutefois, nous avions déjà tiré la sonnette d’alarme en octobre 2013 et 2014 sur la forte sécheresse qui menaçait le pays, dont les conséquences se font encore sentir et nous estimons que c’est encore de notre devoir de le faire encore cette année. Cependant, là, il est question du risque lié aux pluies importantes et surtout à la saison cyclonique qui pourrait être des plus destructrices. Au vu de la dégradation accélérée de notre environnement, de la quasi-inexistence des services de maintien de l’ordre et des secours, je n’ose pas imaginer ce qui pourrait arriver lors ou après le passage d’un cyclone de forte intensité sur le pays, ce que nous n’avons jamais vu depuis au moins deux générations (Inez 1966). Regardez le chaos durant un après-midi pluvieux sur Port-au-Prince à la fin du mois de novembre avec les embouteillages monstres, ou après les rafales descendantes du 2 septembre 2010. Imaginez seulement des centaines de pilonnes électriques, d’arbres et d’enseignes publicitaires jonchant le sol, la majorité des routes inondées ou détruites, des tonnes de débris sur la voie publique et cela au niveau national, l’inondation des zones côtières sur une profondeur de plusieurs centaines de mètres, un scénario catastrophique n’est-ce pas ? Pourtant plus que possible, l’année prochaine ou dans les années à venir. Cela fait plus de 50 ans que les tueurs transatlantiques transitant par la mer des Antilles nous épargnent, mais pour combien de temps encore ? Je sens le vent tourner, mais quelle direction prendra-t-il cette fois ?

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Rudolph Homère Victor

Météorologiste

AMS/OAS

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