Saison cyclonique 2016 : Retiendra-t-on finalement les leçons ?

Dans la nuit du 3 au 4 octobre 1963, Haïti fut frapper par Flora un ouragan de catégorie 4, probablement le plus dévastateur de notre histoire. Cet ouragan provoqua la mort de plus de 5 000 personnes (chiffres officiels bien sûr) et des dégâts matériels considérables. Le manque de communication à l’époque, la non-diffusion des bulletins sur l’évolution de la perturbation entre 10 h Am et 18 h (le gouvernement ne voulait pas provoquer la panique !), l’état de pauvreté du pays, notre manque de préparations, etc. avaient sans aucun doute contribué à l’ampleur de la catastrophe. 53 années plus tard, un autre ouragan d’une puissance quasi similaire (avec une trajectoire toutefois différente) frappe de nouveau le pays au cours de la même période, balaie les côtes du Sud-ouest, dévaste plaines, vallées, infrastructures et cultures. L’Onde de tempête de Matthew combinées à ses rafales, qui ont probablement atteint les 270 km/h, anéantirent tout ou presque (maisons, hôtels, Villas, etc.) qui se trouvaient sur le littoral et provoquèrent une véritable catastrophe écologique dans le Sud et la Grande-Anse avec la destruction de la quasi-totalité de la couverture végétale de cette région et plusieurs centaines de morts dont beaucoup emportés par les flots (le vrai nombre ne sera jamais connu). Comment de telles horreurs peuvent-ils encore nous arriver en plein 21e siècle ? Faudrait-il modifier notre système d’alerte ? Que se passera-t-il lors du prochain big one (ou peut être Bigger one )?

Tout ou presque a été pulvérisé par l’onde de tempête et les rafales

balaLa saison cyclonique a pris fin officiellement ce 30 novembre. Elle a été, conformément à nos prévisions un peu plus active que la moyenne avec 15 tempêtes, 7 cyclones, dont 3 ouragans majeurs (moyenne 12, 5, 3).

pre Il n’y eut pratiquement aucun cyclone majeur sur la zone de développement privilégié des ouragans (MDR) compris entr 10 et 20 de latitude Nord et entre 20 et 80 degrés de longitude Ouest en raison des conditions marginalement favorables ou carrément hostiles sur cette région (Poussière saharienne, stabilité atmosphérique, etc.). Les perturbations qui prirent naissance sur cette région de l’atlantique se sont renforcées en s’approchant de l’arc antillais et la vaste majorité d’entre elles remontèrent vers le Nord avant d’atteindre les Antilles.

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Toutefois, vers la mi-septembre un changement dans les conditions synoptiques allait cette fois permettre aux ondes tropicales de se former un peu plus au Sud du Sahel. Cette nouvelle donne permettait aux perturbations africaines d’éviter les conditions peu défavorables régnant sur une partie de l’atlantique pour s’intensifier de manière graduelle au cours de leurs périples sur l’océan. On allait de ce fait assister à la genèse d’une intense onde vers la 3e semaine du mois de septembre.

p43lElle amerrit sur l’atlantique le 24 et le 28 vers 11 Am passe au stade de tempête tropicale. Le 29, soit 36 heures après sa formation Matthew atteignait, la catégorie maximale sur l’échelle de Saphir Simson.  Le vendredi 30, à 17 h le centre des ouragans de Miami plaçait les côtes méridionales en état de veille de tempête et le gouvernement haïtien décrétait l’alerte vers 14h.

Le 30 septembre Matthew devenait un cyclone de catégorie 5

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Première interrogation

Pourquoi cette décision politique est-elle intervenue le 30 et pas le 28 ou le 29 ?  Certes, la procédure est d’attendre les avis d’alerte du RMC (le centre des ouragans de Miami pour notre région) de la région pour mettre son pays en pré-alerte ou en alerte ; mais dans ce cas précis fallait-il attendre le NHC, alors que depuis la formation de cette tempête le 28, notre pays est toujours resté sur la trajectoire des modèles,

Les perturbations tropicale historiquement restent 60 a 70 % du temps a l’intérieur du cône d’incertitude du NHC

conemais surtout dans le cône d’incertitude du NHC (les cyclones restent dans 69 à 70 % des cas l’intérieur de ce cone durant la période).

2829-sep298De plus, les conditions thermodynamiques étaient favorables pour alimenter un cyclone majeur.

Tous les modèles indiquaient un faible cisaillement sur Matthew

(les couleurs vivent indiquent des vents peu favorables aux ouragans)

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Pire encore, un large creux en altitude s’installait sur le golfe du Mexique, ce qui forcerait tout système tropical d’importance à remonter quelques parts entre Haïti et la Jamaïque. Cela signifiait au minimum un déluge historique sur notre pays.

Global Forecast System (12 z 28 octobre) simule une frappe directe sur Haiti le 3 Octobre

gfs-12zPlus les heures passaient, plus la menace se précisait, une alerte précoce et un meilleur système de communication auraient probablement contribuer à sauver de nombreuses vies. Vu l’état de délabrement de nos structures, un environnement totalement dégradé, les dizaines de milliers de citoyens habitants les villes côtières, directement menacées par la montée de l’océan, impact direct ou pas, notre système a réagi conformément aux règles établient, mais pas en fonction de notre faible capacité à répondre à une menace d’une telle envergure.

Les médias

La plupart des médias (ou leur totalité) trop focalisée sur la politique et les élections (le fonds de commerce de nombre d’entre eux) n’a jamais compris et encore moins réalisée l’ampleur du désastre qui se profilait à l’horizon pour plusieurs raisons et pour cause. Aucun ne dispose de leurs propres météorologues (de toute façon on se fout des sciences ici, car cela ne rapporte pas) et ceux qui diffusent les bulletins météo sont dépendants du CNM. Or, les bulletins météorologiques du mercredi 28 jusqu’au jeudi 29 stipulait que le cyclone ne représentait pas de menace « pour le moment pour Haïti ». Un choix de mots peu judicieux que la population et des médias ont interprété comme une absence de danger pour notre pays. Or en matière de gestion de risque, le temps permet de réaliser des économies, mais surtout de sauver des vies. Il aurait mieux valu utiliser une ligne du genre :  d’après les éléments dont nous disposons, le cyclone pourrait constituer une menace pour les prochains jours si les prévisions se confirment nous continuerons …. Cela aurait permis au média de préparer la population, et à cette dernière de prendre les dispositions nécessaires. Peut-être voulait-on être sûr de l’arrivée de Matthew ?

Des moyens de communications peu adaptées

Le système mis en place a certes permis l’évacuation de nombreux citoyens (ce système a-t-il fonctionné dans le bas du Nord-ouest ou l’île de la Gonâve ?), mais jusqu’à dimanche matin beaucoup de gens dans la Grande-Anse par exemple ignoraient qu’un ouragan menaçait leur département. Comment cela est-il possible en 2016 ? On pourrait évoquer les problèmes d’alimentation en énergie électricité sur la quasi-totalité du territoire, toutefois cela ne peut en aucun cas justifier l’inacceptable. Il faut un système efficace d’alerte permettant d’atteindre l’ensemble de la population parce que beaucoup de gens sont morts surtout parce qu’ils ne savaient pas !

Une éducation environnementale inexistante

Notre éducation face aux problèmes environnementaux, mais surtout face aux catastrophes naturelles reste à faire et cela doit commencer dès la maternelle. Des exercices de simulations en cas de tremblement de terre et de tsunami ont déjà été réalisés en Haïti, mais aucun en cas de cyclone, alors que le risque est beaucoup plus important et mieux connu que celui des séismes, pourquoi ?

 Résilience climatique

Des sommes importantes sont paraît-ils disponibles pour la résilience climatique. Ce programme permettra-t-il de construire des abris dignes de ce nom ? L’ouverture de voie d’évacuation au cas où ? Aux médias d’investir ont-ils davantage dans les affaires environnementales et climatiques en diffusant des émissions sur ces sujets extrêmement importants pour notre pays et surtout avec des spécialistes de ces questions?

De mauvais signes

Je crois que malheureusement le prochain cyclone  majeur pourrait provoquer autant sinon plus de dégât que Matthew, les raisons ?

On en parle presque plus dans les médias, la routine a repris (la politique). Absence quasi-total de spécialistes des sciences de l’atmosphère lors des émissions concernant les sujets relatifs aux changement climatiques, aux risques cycloniques sur nos médias (lorsqu’ ils daignent en parler). Les invités qui maîtrisent certes d’autres sujets avancent des données parfois sans fondement scientifique sur les phénomènes météo (les cyclones sont en augmentations par exemple), triste mais c’est ainsi, on invite les mêmes pic de la Mirandole. Beaucoup de gens qui ont tout perdu vont vivre dans un état de pauvreté accru et seront encore plus vulnérables. Les propriétaires de plusieurs hôtels et de maisons de la zone du littoral dévastée ont commencé à reconstruire ou réparer les dégâts comme si cet évènement est un accident donc fort improbable dans un avenir proche, ils se gourent (nous y reviendrons lors d’un prochain post). Avez-vous entendu parler de plan de reconstruction pour toute la péninsule du Sud ? Détruira-t-on les anciennes baraques vétustes qui existent un peu partout dans le pays qui a été pour la plupart soufflé par Matthew ? Des études ont-elles été réalisées sur le terrain pour déterminer la hauteur de l’onde de tempête associée à ce cyclone sur l’ensemble de la presqu’île du Sud ? Du Nord-ouest ? De l’île de la Gonâve ? J’en doute, pourtant ces données permettraient, en les comparant à celles d’autres ouragans (pour lesquels ces données existent) de déterminer les zones à évacuer ou à ne pas évacuer dépendant de l’intensité du phénomène, car évacuer coûte beaucoup aux contribuables. A-t-on des plans pour déplacer des villes à risques comme Port-a-Piment, Saint Louis du Sud , Bainet, Aquin ? Chardonieres, etc. ? Vous connaissez sans doute la réponse à ces questions. Il y a-t-il eu des vols de reconnaissance pour déterminer la trajectoire exacte du vortex et en fonction des dégâts (sens de chutes des arbres, etc.), déterminer les raisons pour laquelle certaines régions limitrophes ont-ils été affectées différemment ? Était-ce dû aux effets d’accélération des vents en raison de la topographie locale ? Une réponse positive obligerait à évacuer ou à exiger des codes de constructions plus sévères pour certaines localités.  Les compagnies d’assurance qui ont des clients en Haïti avaient-elles bien évalué le risque sur cette région ? Connaissent-elles les périodes de retour des ouragans en Haïti (catégorie inférieure ou majeure) ? Accepteront-elles d’assurer à l’avenir contre les cyclones ? Sur la zone d’atterrissage de Matthew la couverture végétale a sans nul doute contribuer à réduire l’impact du cyclone sur certaines localités, mais tous ces arbres prendront du temps à repousser (si on leur donne la chance). La région sera ainsi à découvert pour de longues années avec donc une faible protection.

En conclusion

Les récentes inondations dans le Nord du pays, somme toute prévisible montrent à quel point rien ne change ou plutôt que tout empire. Un ami journaliste m’a rappelé une phrase du Capitaine météo qui date de plus de 16 ans:

« Nou wè jan moun kounya pa interese nan afè meteyo gen ou tan qui pou rive chak ayisyen pap soti si l pa koute meteyo, paske chak lapli ka on katastròf !

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Rudolph Homère Victor

Météorologiste

AMS

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